25 Juin 2004

COMMUNIQUE DE PRESSE

Démarrage du projet MICROSCOPE : une nouvelle physique au-delà du modèle standard actuel ?

Le Conseil d’Administration du CNES du 24 juin 2004 a décidé le démarrage des phases B, C, D et E du projet MICROSCOPE, réalisé en coopération avec l’Agence Spatiale Européenne et l’ONERA.

MICROSCOPE est une mission de physique fondamentale proposée par l’ONERA et l’Observatoire de la Côte d’Azur. L’objectif principal est scientifique et vise à tester le Principe d’Equivalence qui postule l'égalité entre la masse gravitationnelle et la masse inerte. Cette mission apportera également l’occasion de qualifier les technologies nécessaires à la réalisation d’un satellite à trainée compensée, indispensable à l'expérience scientifique. Elle sera embarquée sur un microsatellite de la filière MYRIADE du CNES. Le Principe d’Equivalence identifie deux propriétés physiques conceptuellement différentes : l'inertie et la gravité. Il occupe une position centrale dans la caractérisation de l’espace-temps et la formulation théorique de la gravitation, aussi est-il primordial d’examiner dans quelle mesure il est vérifié par les tests expérimentaux. Aujourd'hui, les progrès effectués en matière d’instrumentation et le développement des vols spatiaux offrent en effet de nouvelles possibilités d’expérimentation permettant de gagner plusieurs ordres de grandeur dans la précision ou la sensibilité des mesures.

MICROSCOPE bousculera-t-il la théorie d'Einstein ?

L’expérience MICROSCOPE vise à tester le principe d’Equivalence avec une résolution de 10-15, c’est-à-dire presque trois ordres de grandeur de plus que les meilleurs tests effectués sur Terre : l’idée est de mesurer l’accélération relative de deux masses de compositions différentes placées en mouvement libre dans un satellite à trainée compensée, en orbite dans le champ gravitationnel de la Terre. Le principal avantage de l’expérience spatiale réside dans l’élimination des vibrations aléatoires d’origine sismique qui constituent une limite pour les expériences de laboratoire. En outre, la comparaison du mouvement des deux masses peut s'effectuer pendant des durées beaucoup plus longues, supérieures à la période de révolution autour de la Terre.

Une violation du Principe d'Equivalence serait d’une importance considérable car elle remettrait en question les fondements de la Relativité Générale et, plus généralement, notre compréhension de l’environnement spatio-temporel comme un espace métrique. Elle serait un premier signal d’une nouvelle physique au-delà modèle standard de la physique actuelle et correspondrait à la signature de nouvelles interactions ou de nouvelles forces. Elle remettrait ainsi en cause nos connaissances à l’interface entre la théorie quantique des champs et les théories relativistes de la gravitation ainsi que l’application de ces théories à l’astrophysique et à la cosmologie.

A l’inverse, une confirmation de ce principe jusqu’au niveau de 10-15 aurait aussi des conséquences très intéressantes puisqu’elle mettrait de nouvelles contraintes sur les modèles d’unification des interactions fondamentales.ne coopération internationale, une belle avancée technologique, une organisation industrielle optimisée

Le Département de Mesures Physiques de l'ONERA assure la définition des objectifs scientifiques, les spécifications de mission, la validation des choix de l’instrumentation et le plan d’exploitation de la charge utile. Il est également maître d’œuvre de la charge utile (accéléromètres électrostatiques et électronique associée) et du Centre de mission scientifique. Le département Gemini de l’Observatoire de la Côte d’Azur à Grasse assiste l’ONERA et le CNES pour l’analyse de mission et le traitement des mesures. Le ZARM (Zentrum für Angewandte Raumfahrttechnologie und Mikrogravitation) de l'Université de Brême en Allemagne) participe aux essais de qualification des accéléromètres en mettant sa tour de chute libre à disposition de l‘ONERA.L’ESA fournit les micro-propulseurs électriques FEEPs (Field Emission Electric Propulsion), développés par ALTA à Pise en Italie.

Au niveau technologique, cette mission apportera également l’occasion de qualifier les technologies de réalisation d’un satellite à traînée compensée en orbite terrestre. Ce type de satellite utilise le fonctionnement couplé d’un senseur accélérométrique ultra-sensible et d’un système de propulsion électrique très fin pour compenser toutes les perturbations d’origine non gravitationnelle (frottement, pression de radiation solaire). Cet objectif constitue une condition préalable indispensable à la réalisation du test du Principe d’Equivalence ainsi qu’à de futures missions de physique fondamentale, de géodésie, d’interférométrie et de missions utilisant le vol en formation.

Le satellite comprend pour l’essentiel :- deux accéléromètres électrostatiques différentiels (comprenant chacun deux masses d’épreuve cylindriques concentriques),- un système de contrôle d’attitude et de compensation de traînée,- un ensemble de micro-propulseurs électriques à effet de champ et à poussée modulable associés à leur électronique de commande et de puissance.

Cette expérience nécessite des mesures d’accélérations inférieures au femto-g (soit un millionième de milliardième de la gravité terrestre), un environnement à bord du satellite particulièrement stable et une analyse soignée des perturbations en orbite. Le CNES est le maître d'ouvrage du projet et le maître d’œuvre du système ainsi que du satellite de sa filière Myriade. En particulier, il développe la plate-forme, conduit l’intégration et les essais du satellite ; il est aussi responsable du Centre de contrôle et du lancement. Le lancement de MICROSCOPE est prévu en mars 2008, sur une orbite héliosynchrone circulaire quasi-polaire (700 km, 6h/18h), pour une mission de un an. L'organisation industrielle reprendra les acquis du développement de la filière Myriade, initialisée avec Demeter puis Parasol, à savoir : moyens partagés avec les autres satellites CNES de la filière pour les moyens sol d’intégration ou de contrôle, approvisionnements groupés pour les équipements de vol récurrents, développements nouveaux limités au strict nécessaire et réalisés en synergie maximale avec les autres satellites de la filière, maîtrise d’œuvre interne au niveau système et satellite.

Bel exemple d'outil spatial à l'extrême limite des possibilités du moment, dans lequel les enjeux scientifiques se doublent d'enjeux technologiques, MICROSCOPE bénéficie d’une participation du programme scientifique obligatoire de l’ESA. Le coût total consolidé du projet (phases A/B/C/D/E) pour l’ensemble des partenaires est de 70,4 Meuros dont 90% sont supportés par le CNES.

Le principe d'équivalence

La masse inerte d'un corps mesure l'effort à exercer pour changer l'état de mouvement de ce corps alors que la masse gravitationnelle mesure le couplage de ce corps avec la gravité. De l'égalité de ces deux masses résulte la conséquence suivante : la trajectoire d'un corps tombant en chute libre (c'est-à-dire un corps qui n’est soumis à aucune interaction de type électromagnétique par exemple) ne dépend ni de sa structure interne ni de sa composition. C'est le phénomène d'universalité de la chute libre.

La théorie généralement admise pour décrire la gravitation est la théorie de la Relativité Générale. Elle est fondée sur le Principe d'Equivalence. Einstein a en effet promu ce principe, considéré comme empirique depuis Galilée et Newton, au statut de postulat de départ de sa théorie.

Une autre raison pour tester ce principe vient du fait que la gravitation, première des interactions fondamentales connues, résiste aux tentatives d’unification avec les autres interactions fondamentales : électromagnétique, nucléaire faible et nucléaire forte.

Celles-ci sont décrites selon un modèle de théorie quantique des champs, le modèle standard de la physique des particules, alors que la gravitation est décrite par une théorie classique (par opposition à quantique), la Relativité Générale, qui relie la géométrie de l’espace-temps à la densité de matière-énergie qu’il contient.

Les théories d’unification les plus récentes, telles que la théorie des cordes, cherchent ainsi à trouver une description cohérente de la gravitation et des autres interactions. Dans tous les cas, ces théories prédisent l’existence d'une nouvelle interaction dépendant de la composition des corps. Quelle que soit son origine, une éventuelle nouvelle force pourrait, en se superposant à la gravitation, être mise en évidence comme une violation du Principe d'Equivalence.

Tester le Principe d’Equivalence, et en particulier l’universalité de la chute libre, c’est donc chercher aussi l’existence et les caractéristiques de cette nouvelle interaction. Historique du projet de microsatellite MICROSCOPE Ce projet a été proposé par l’ONERA et l’Observatoire de la Côte d’Azur en réponse à l’appel à idées du CNES de juillet 1997 concernant des missions scientifiques spatiales sur microsatellites. Dès 1993, tester le Principe d'Equivalence avait été considéré comme une priorité majeure de la physique fondamentale. Le CNES avait alors lancé une étude de mission qui a abouti à la définition de GEOSTEP, un minisatellite réalisable sur une plate-forme Proteus, à température cryogénique, mais jugée trop ambitieuse.En parallèle, l’ONERA avait également participé aux études réalisées par l’Université de Stanford pour proposer à la NASA STEP, un autre projet de minisatellite.

A la suite de ces propositions, GEOSTEP et STEP, des travaux de R&T financés par le CNES depuis 1994 sur les accéléromètres électrostatiques de l’ONERA et des résultats acquis par l’ONERA lors de missions spatiales de géodésie (accéléromètre STAR intégré sur le satellite CHAMP en 2000 et accéléromètre super-STAR embarqué sur la mission GRACE en 2001), il est apparu possible de réaliser un instrument compatible avec les contraintes d’un microsatellite et permettant néanmoins à température ambiante un progrès notable dans le test du Principe d’Equivalence.

La haute priorité accordée au test du Principe d’Equivalence a de nouveau été soulignée en 1998 avec la proposition de microsatellite MICROSCOPE, d’autant plus que la NASA suspendait le projet de minisatellite STEP.

De même, le groupement de recherche GREX (Gravitation Expérimentale), mis en place par le CNRS, a inscrit le projet MICROSCOPE comme priorité majeure de son programme de recherche.